Qui étaient les Vandales ?


Par Carine Mahy

Si le mot vandalisme est entré depuis longtemps dans la langue française (néologisme inventé en 1794) et a participé à forger une légende sombre concernant ces Barbares, que sait-on vraiment du peuple qui lui a donné son nom ? Correspondaient-ils vraiment à l’image que l’on en a ?

Les Vandales faisaient partie des peuples germaniques, que leurs migrations ont mené à la rencontre de l’Empire romain et à la conquête d’une partie de celui-ci pendant l’Antiquité tardive.



Origine des Vandales

C’est chez Pline l’Ancien qu’apparaît la première mention des Vandales dans la littérature classique. Sous cet auteur, ces Vandili comptaient parmi les cinq nations premières des Germains. Les autres étaient les Inguaeones (les mieux connus des Romains au début de notre ère), les Istuaones, les Hermiones (parmi lesquels se trouvaient les Suèves) et les Pencini-Basternae. Les Cimbres, les Teutons et les Chauques comptaient parmi les Inguaeones, tandis que les Goths, les Burgondes, les Charini et les Varinnae faisaient partie des Vandili.


Comme les autres peuples germaniques, leur origine géographique devait se trouver sur les rivages de la mer Baltique. Ces Germains orientaux vivaient dans le vaste espace encore inconnu des Romains au Ier s. de n. ère, probablement situé entre l’Oder et la Vistule. Ils se seraient ensuite déplacés vers le sud-est (entre Haute-Vistule et Haut-Dniestr).
Les bateaux romains n’avaient pas encore été plus loin que l’embouchure de l’Elbe. Ces espaces orientaux étaient donc encore trop obscurs pour que les historiens du Ier s. de n. ère aient pu disposer d’informations fiables à leur sujet.
Il n’est pas exclus, par ailleurs, que les Vandales aient été partiellement composés de Celtes également, ayant été à la limite nord-est du territoire de ces derniers. En effet, la culture archéologique de Przeworsk, identifiée en Pologne, et qui présente des caractéristiques partiellement celtes, pourrait correspondre aux Vandales selon certains chercheurs.
Il est très probable que des groupes d’origines variées se soient réunis sous l’autorité d’un chef, d’une dynastie dominante, formant ainsi un nouveau groupe, « peuple » hétérogène, qui n’a pas une base ethnique commune, mais qui se reconnaît à travers certains mythes ou légendes censés expliquer leur origine commune. C’est sans doute ainsi qu’il faut se représenter les Vandales.


Premiers contacts entre Vandales et Romains

C’est en 171 de n. ère, pendant la première guerre germanique de Marc Aurèle, que les Romains et les Vandales s’affrontèrent pour la première fois, sur la frontière nord de la Dacie (Roumanie). Les Vandales étaient cependant très minoritaires parmi les Germains que les Romains ont eu à combattre aux IIe et IIIe s. de n. ère sur la frontière danubienne.
Ensuite, vers 180 de n. ère, selon Dion Cassius, établissant des relations diplomatiques, les Romains signèrent un accord reconnaissant la présence des Vandales sur les frontières nord-ouest de la Dacie, leur octroyant de l’argent et des terres. Et en échange, ces derniers s’engagèrent à défendre cette limite du territoire romain face aux autres Barbares qui auraient tenté de la franchir.
La durée de validité de cet accord est inconnue, mais au IIIe s. de n. ère, l’Empereur Aurélien affronta à nouveau les Vandales  (qui apparaissent aussi sous le nom de Hasdings). Suite à ce nouvel épisode guerrier, un nouvel accord fut conclu vers 270 de n. ère. Les Vandales livrèrent des otages de haut rang aux Romains, ainsi que deux mille cavaliers devenus auxiliaires de l’armée romaine, qui accompagnèrent le retour de l’Empereur en Italie. Les autres Vandales furent escortés jusqu’à la frontière danubienne.

Les témoignages antiques, dès le géographe Ptolémée au IIe s. de n. ère, mentionnent également un groupe de Vandales plus à l’ouest, les Silings. Ceux-ci étaient peut-être localisés du côté des Sudètes, aux frontières de la province romaine de Rhétie. Il semble qu’ils ont mené une existence sédentaire dans cette région pendant une grande partie de l’Antiquité.
Hastings et Silings doivent probablement être compris comme deux clans vandales distincts, qui se sont séparés au cours des premiers mouvements migratoires.


Traversée de l'Empire romain


Après l’abandon de la province de Dacie par l’empereur Aurélien (fin IIIe s. de n. ère), les Vandales  (Hasdings) se sont probablement installés dans la partie Nord-ouest de l’ancienne province. Progressivement d’autres populations les ont à nouveau rejoint et ont été intégrées sous le nom de Vandale.

Au cours de la première moitié du IVe s., suite à un conflit avec les Goths, un grand nombre de Vandales (Hasdings) semblent s’être retourné contre leur roi Visimar, qui fut assassiné selon l’auteur Jordanès. Le petit groupe de Vandales qui n’avaient pas participé à l’assassinat auraient demandé à l’Empereur romain Constantin le Grand, la possibilité de s’établir en Pannonie. Il est possible que cela leur fut accordé et qu’ils y vécurent pendant plusieurs décennies. Ils auraient mené des activités agricoles, comme cela est attesté chez d’autres auteurs pour certains groupes barbares installés sur le territoire de l’Empire romain à la même époque. Ils auraient alors entretenu des relations pacifiques avec le pouvoir romain.

Au début du Ve s. de n. ère, les Vandales auraient alors abandonnés le terres qui leur avaient été confiées pour se joindre à un large mouvement migratoire vers l’ouest de l’Empire, incluant des femmes, des enfants et des vieillards (et non pas seulement des raids guerriers). Avec les Alains et les Suèves, les deux groupes Vandales (Hasdings et Silings) auraient franchi le Rhin et envahi la Gaule en 405-406 de n. ère. Peu avant le passage du Rhin, ils eurent à affronter d’autres Germains, les Francs, installés dans cette région. Ce combat aurait coûté la vie à 20 000 Vandales.
Le passage du Rhin se fit au niveau de Mayence (Mogontiacum), où se trouvait un pont, qui permettait des échanges commerciaux entre Romains et Francs. Ce fut donc l’attaque de ce pont qui permit à la coalition d’entrer dans l’Empire romain. Logiquement, ce fut la ville de Mayence qui fut pillée en premier lieu. Ensuite, les Vandales, Alain et Suèves se dirigèrent vers le nord-ouest, comme en témoigne une lettre de Saint Jérôme qui énumère les destructions, laissant entrevoir l’axe suivi par l’invasion. Les villes de Reims, Amiens, Arras et Tournai furent touchées. Ensuite, le groupe barbare s’orienta en direction du sud-ouest. Les régions gauloises d’Aquitaine, de Lyonnaise et de Narbonnaise furent traversées.

Ce fut à la fin de l’année 409 que le groupe de migrants franchit les Pyrénées et entra en Hispanie. Après une première période de raids de pillages, les différentes composantes du groupe décidèrent de se partager le territoire de la péninsule en  411. Il semble que cela se soit réalisé par tirage au sort. La répartition fut très inégalitaire par rapport aux régions disposant des principales richesses. Ainsi les Alains et les Vandales Silings obtinrent les meilleures parties, tandis que les Suèves et les Vandales Hasdings durent se contenter de peu. Des traités furent probablement établis avec les Romains pour entériner ces installations. Leur volonté semble donc avoir été de s’établir durablement sur ces terres. La Tarraconaise (nord-est de l’Espagne) resta un territoire romain. Ces événements sont relatés par les auteurs Orose et Hydace, tous deux originaires de la péninsule et contemporains des événements.

L’arrivée des Wisigoths en Ibérie en 414-415 et les combats qui suivirent, bouleversèrent les nouveaux établissements. Les Wisigoths firent alliance avec les Romains et reprirent la Bétique aux Silings et  l’ensemble du territoire des Alains. Seuls les Hasdings et les Suèves  résistèrent. Les Goths furent ensuite envoyés en Aquitaine par le pouvoir romain. Les survivants Alains (et peut-être Silings) rejoignirent les Hasdings en Galice. Les Vandales tentèrent alors d’étendre leur territoire vers l’ouest, au dépends des Suèves.
Afin de limiter le renforcement des Vandales, les Romains envoyèrent des renforts aux Suèves. Les Vandales se dirigèrent alors vers le sud de la péninsule, la Bétique. C’est à cet établissement que l’on doit le nom de V‑Andalousie qui désigne aujourd’hui encore le sud de la péninsule. Après 422, les Romains n’essayèrent plus de lutter contre les Vandales, toutes leurs tentatives antérieures ayant échouer à leur reprendre la Bétique. Des Wisigoths ont probablement quitté le service romain pour se joindre aux Vandales. Des affrontements avec une partie des Suèves et des conflits dans différentes régions de la péninsule semblent s’être produits. Les Vandales auraient également envahis les îles Baléares.


Les Vandales en Afrique

C’est par le détroit de Gibraltar que les Vandales gagnèrent le nord de l’Afrique. Il semble qu’à ce moment-là, en 429 de n. ère, ils étaient encore au nombre approximatif de 80 000 personnes (Vandales, mais aussi Alains, certains Suèves et Wisigoths). Ils étaient dirigés par le roi Hasding Genseric.

L’instabilité des relations avec les Suèves en Espagne a sans doute été déterminante dans leur choix de rejoindre l’Afrique, mais l’attrait des richesses a probablement dû les motiver également. En effet, l’Afrique était une des provinces les plus riches du monde romain au début du Ve s. de n. ère.

La conquête de l’Afrique du Nord fut très rapide. En 430, ils assiégèrent Hippone (en Algérie), qui manifesta la première réelle résistance de la part des cités romaines. Ce siège dura plus d’un an et c’est à cette occasion que l’évêque de la ville, Augustin, trouva la mort. Il devint par la suite Saint Augustin, l’un des pères de l’Église.
Un traité de paix romano-vandale fut signé en 435 dans la ville conquise. Par ce texte, les Vandales sont reconnus comme peuple fédéré et les Romains acceptent leur établissement sur les territoires déjà conquis. Cependant, le répit ne fut que de courte durée, car en 439, Genséric décida de reprendre la marche vers l’ouest. Carthage fut conquise la même année.

Un nouveau traité fut signé en 442, qui amena la reconnaissance officielle du royaume vandale par les autorités romaines, sur l’ensemble du territoire de l’Afrique romaine (sauf l’actuel Maroc).


Le royaume Vandale

Les Vandales étaient dirigés par une aristocratie militaire, dont était issus les rois. Au total, six rois sont connus, appartenant à la dynastie Hasdings : Genseric (428-477), Huniric (477-484), Gunthamund (484-496), Thrasamund (496-523), Hildéric (523-530) et Gelimer (530-534, usurpateur). Ils ont choisi Carthage comme capitale de leur nouveau royaume.

Cependant, ils étaient trop peu nombreux pour contrôler de manière directe un territoire aussi vaste que celui qu’ils avaient conquis en Afrique. Ils choisirent donc de laisser en place l’administration romaine dans les cités.
Ils ont même conservé le flaminat, qui était lié au culte impérial romain. Ils l’ont transformé en un culte royal en l’honneur de leur dynastie.

En raison de leur nombre très restreint, qui faisait des Vandales une minorité parmi les populations africaine et romaine du royaume qu’ils administraient, ils choisirent de s’installer tous dans l’ancienne province romaine de Proconsulaire, dans laquelle se trouvait Carthage (état tardif de cette province après la réforme de Dioclétien), afin de conserver la cohésion du groupe.

Des terres confisquées aux populations locales furent distribuées aux Vandales. C’est ainsi que l’aristocratie occupa de somptueuses domus (maisons) romaines. Le reste du territoire africain fut soumis à l’impôt en faveur du pouvoir vandale.

Au contact du mode de vie romain, les Vandales ont progressivement commencé à se romaniser, dès le moment où ils étaient installés dans le sud de le l’Espagne. Le fait de vivre au milieu des cités romaines d’Afrique, bénéficiant de leur confort, a renforcé ce processus.
Ils ont notamment développé un goût prononcé pour les thermes. Ainsi, ils ont continué à assurer l’entretien de certaines installations thermales, dont les thermes d’hiver de Thuburbo Maius (Tunisie) par exemple. Les grands thermes impériaux de Carthage ont également continué à être fréquentés. Ayant été détruits par un incendie lors de la conquête de la capitale, ils ont été partiellement reconstruits au VIe s. Les théâtres, amphithéâtres et cirques ont aussi continué à être fréquentés. Ils n’ont pas modifié non plus les habitations romaines dans lesquelles ils s’étaient installés.

Ils ont utilisé le latin pour édicter leurs lois, qui étaient d’ailleurs fortement inspirées du droit romain. Les légendes des monnaies vandales ont également été inscrites en latin.


La religion des Vandales

Initialement polythéistes comme tous les Germains, ils s’étaient convertis au christianisme sans doute au début du Ve s. de n. ère, lorsqu’ils étaient dans la péninsule ibérique. Cependant, ils ont adhéré à la doctrine arienne, qui était considérée comme hérétique par l’orthodoxie romaine depuis le concile de Nicée en 325 de n. ère. Les deux tendances étaient très proches. La différence majeure résidait dans la non reconnaissance de la trinité par les ariens. Ils ont donc tenté d’implanter par la force l’église arienne en Proconsulaire où ils s’étaient établis, au détriment du catholicisme qui y était pratiqué à leur arrivée. Cette politique religieuse a été menée jusqu’en 523. Le reste du royaume a bénéficié d’une tolérance religieuse.

Alors qu’un traité consacrant les bonnes relations entre Vandales et Byzantins avait été signé en 474 de n. ère, les Byzantins attaquèrent l’Afrique vandale, en 533-534, sous le règne de l’empereur Justinien. L’empereur aurait été influencé par les témoignages de haine envers les Vandales, portés à sa connaissance par des religieux catholiques africains en exil à Constantinople.


Les Vandales en mer

Prenant la mer pour traverser le détroit de Gibraltar, les Vandales sont devenus aussi une puissance maritime. Cette nouvelle maîtrise leur a permis de mener des raids en Méditerranée, de menacer Rome et d’étendre leur autorité sur plusieurs îles. Ils ont mené des pillages sur les côtes du Péloponnèse en 455 de n. ère.

La même année, Rome a aussi été pillée. A cette occasion, le palais impérial a été pris et plusieurs membres de la famille impériale ont été capturés, provoquant la fuite de l’empereur romain Petronius Maximus. Ce dernier a ensuite été lapidé par la population de la capitale pour cet abandon. Le Capitole a également payé un lourd tribut lors de ce pillage. En effet, les Vandales ont emporté la moitié du toit du temple, qui avait été réalisé en bronze et or. Le poids du butin a d’ailleurs provoqué le naufrage d’un bateau vandale lors du retour vers l’Afrique.

Ils ont également conquis la Sardaigne, la Sicile et la Corse. Après un premier échec en 455, c’est finalement à une date incertaine que la Corse et la Sardaigne ont été prises. La Sicile est, elle, devenue vandale en 468. Dès 491, d’autres Germains, les Ostrogoths venus d’Italie, leur reprendront cette dernière île. Concernant les autres, ils les conserveront, comme l’Afrique, jusqu’à la reconquête byzantine du général Bélisaire, sous le règne de Justinien.


Conclusion

La politique menée en Afrique par les Vandales était différente dans la région où ils vivaient par rapport au reste du royaume. La pression de leur présence était plus forte sur les populations et l’aristocratie romaines de Proconsulaire, tandis que les autres Africains étaient plus libres, à condition de verser le tribut exigé. Quant aux destructions systématiques que les sources chrétiennes attribuent aux Vandales lors de leur conquête, l’archéologie n’a pas pu les mettre en évidence. Il y a donc lieu de rester prudent à ce propos.

Grâce au développement de leur puissance maritime, les Vandales ont pu contrôlé les échanges commerciaux en Méditerranée Occidentale, comme l’avait fait Carthage quelques siècles avant eux. Cette maîtrise de la mer était perçue comme une menace par la puissance byzantine, qui profita de l’hérésie religieuse arianiste des Vandales et de l’usurpation du trône africain par Gelimer pour intervenir et reprendre le contrôle de ces anciens territoires romains.

Le pouvoir vandale tomba en quelques mois, Gelimer fut fait prisonnier et finalement exilé en Galatie (en Anatolie), mais les Byzantins ne parvinrent jamais à contrôler totalement les territoires de l’ouest africain. Ils conservèrent les possessions africaines pendant un siècle et demi, avant de les perdre suite à la conquête arabe.


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