Le mythique jardin des Hespérides et son lien avec l'Afrique antique


Par Carine Mahy
Lieu légendaire localisé quelque part dans l'extrême occident de l'Antiquité classique, le jardin des Hespérides fait partie des mythes qui ont traversé les millénaires et ont marqué l'imaginaire collectif. 



Les 12 travaux d'Hercule

Selon le récit mythologique, le héros Héraclès / Hercule s'est rendu dans ce lieu fabuleux à l'occasion de l'un de ses travaux, l'avant-dernier, qui est aussi le dernier travail accompli sur terre, puisque le tout dernier s'est déroulé aux Enfers (il s'agissait d'emmener Cerbère, le chien à trois tête qui gardait le royaume d'Hadès). Il avait pour mission de cueillir les pommes d'or qui poussaient sur l'arbre de la déesse Héra, épouse de Zeus. C'est la déesse Terre, Gaïa, qui aurait offert des pommes d'or en présent à Héra à l'occasion de son mariage selon la tradition grecque. Cette dernière les auraient trouvées tellement belles qu'elle les auraient fait planté dans son jardin, situé au pied du mont Atlas. Dans ce même endroit féerique, coulait une fontaine d'ambroisie, nourriture divine assurant l'immortalité. L'or de ces pommes exceptionnel était d'ailleurs aussi un métal associé au monde des dieux et à l'immortalité dans de nombreuses religions et mythologies antiques, et pas seulement en Grèce. Pour les Égyptiens, par exemple, l'or était la chair des dieux.

Ce jardin était bien gardé, à la fois par l'énorme dragon Ladon aux cent têtes et par les Hespérides, les nymphes du Soir. Ces sécurités auraient été destinées à éviter que les filles d'Atlas ne viennent voler les pommes. Il est à noter que selon d'autres variantes du mythe, les Hespérides étaient les filles d'Atlas et d'Hespéris. Quant au nombre de ces jeunes filles gardiennes, elles auraient été minimum trois, mais il y a aussi de nombreuses variantes quant à leur nombre précis, selon la tradition sur laquelle on se base. Elles pourraient même ne pas avoir été réellement des gardiennes du jardin et de son précieux arbre, mais avoir plutôt aidé Héraclès dans son larcin, par exemple en endormant le dragon grâce à une boisson. Vaincu, l'animal fantastique aurait été placé, par Héra, parmi les constellations. Le mythe herculéen est d'ailleurs une riche source d'inspiration qui fut à l'origine de la reconnaissance de plusieurs constellations (lion, hydre, Hercule lui-même...).

Hercule dut entreprendre un long périple à travers la Libye (désignant l'ensemble de l'Afrique en grec) avant de rencontrer le géant Atlas (assimilé au mont Atlas), qui portait la sphère céleste sur ses épaules. Il a eu recours aux conseils du dieu de la mer Nérée, pour y parvenir. Selon les versions du récit, Héraclès eut recours, ou pas, à l'aide du géant, pour remplir sa mission. Après avoir prouvé qu'il avait mené à bien son travail, le héros confia les pommes dorées à Athéna, qui les ramena dans le jardin dont elles étaient issues, car elles ne pouvaient normalement pas en sortir.

L'expédition d’Héraclès au jardin des Hespérides fut très populaire pendant la période classique, et particulièrement au IVe siècle av. n. ère. Cette popularité nous apparaît notamment à travers la documentation artistique qu'elle inspira, dont la céramique attique, de même, bien sûr, qu'à travers la littérature. Mais elle s'est prolongée pendant la période hellénistique (qui débute avec la mort d'Alexandre le Grand en 323 avant notre ère), et d'ailleurs bien au-delà de la conquête romaine de la Grèce. Adopté par les vainqueurs italiques, le mythe d'Hercule est  resté vivace pendant toute la période romaine. Il est attesté dans de nombreuses régions de l'Empire.



Localisation du jardin des Hespérides à Lixus, au Maroc

Dans le mythe grec, transmis notamment pas Hésiode et Euripide, le jardin se trouvait loin dans l'occident inaccessible aux hommes mortels. Le chemin d'accès leur en était inconnu. Il était, par contre, prisé par les dieux comme lieu de réunion.

C'est principalement au naturaliste Pline l'Ancien que l'on doit la transmission, jusqu'à nous, de légendes populaires  localisant le célèbre jardin dans des territoires réels de l'ouest africain, et plus précisément à l'emplacement du site archéologique de Lixus, sur la côte atlantique, au Maroc, l'antique Maurétanie (royaume des Maures).
Relatant cette hypothèse, il se montrait néanmoins sceptique quant à sa véracité. Il précise que ce jardin se serait trouvé sur une île, sur le fleuve Loukkos. Il propose également une interprétation rationnelle de la présence du dragon, gardien fabuleux dans le mythe, en établissant un parallèle entre celui-ci et les nombreux méandres du cours d'eau.

Dans cette cité romaine, existait un sanctuaire renommé, qui était consacré au dieu phénicien Melqart. Or, ce dernier a été assimilé à Héraclès dès le VIe siècle avant notre ère. Ce syncrétisme pourrait avoir vu le jour à Chypre, île dans laquelle les Phéniciens et les Grecs se côtoyaient. Mais il est attesté dans l'ensemble de la Méditerranée phénico-punique.
Le dieu levantin avait pris l'apparence du héros grec dans l'iconographie phénicienne, puisque Melqart était toujours coiffé de la peau de lion, et tenait souvent une massue à la main. Pour rappel, la peau du fauve fait référence au premier travail d'Héraclès, suite auquel il a tué le lion de Némée et dépecé l'animal, dont la peau était impénétrable par les armes humaines. Avec celle-ci, il se constitua une armure infaillible qui l'accompagna pendant l'ensemble de ses missions ultérieures.

Dans la même logique d'attribution d'une localisation géographique réelle, l'alter ego de Lixus, la cité de Gadès (Cadix) en Espagne, s'est vue aussi associée à un travail d'Hercule : la capture des bœufs de Géryon. Le domaine de ce personnage aux trois torses et aux trois têtes, se trouvait sur une île océanique, comme Cadix, qui était une île à part entière pendant l'Antiquité.
Comme Lixus, elle se trouvait au-delà du détroit de Gibraltar (d'ailleurs nommées les colonnes d'Hercule dans l'Antiquité), mais au nord. Elle a souvent été comparée à Lixus. En effet, les deux cités ont été fondées par les Phéniciens aux confins du monde connu des Anciens, face à l'océan Atlantique. L'une et l'autre étaient perçues comme des destinations lointaines possédant d'abondantes richesses, des eldorado pour les autres peuples méditerranéens. La tradition littéraire leur attribuait une très grande ancienneté à chacune, bien que l'archéologie ne puisse par la confirmer. Et toutes deux possédaient un temple de Melqart réputé à travers toute la Méditerranée.


Conclusion


Les Grecs à l'origine du récit légendaire d'Hercule n'avaient aucune idée précise de ce qui se trouvait vers le soleil couchant et n'avaient donc pas imaginé un endroit particulier en décrivant le jardin des Hespérides. La localisation a Lixus est une tentative d'explication rationaliste tardive (pendant la période romaine), par des savants qui avaient une meilleure connaissance de la géographie de la Méditerranée occidentale.  Mais la symbolique de cette expédition lointaine est la définition d'un héros civilisateur. Or la résonance de celui-ci dans le monde grec est à mettre en parallèle avec les mouvements coloniaux helléniques en Méditerranée.

Il est à noter aussi qu'une terre lointaine, merveilleuse, n'est pas une innovation grecque. En effet, comme pour beaucoup d'autres légendes et connaissances, les Grecs se sont inspiré de l'Orient, et notamment de la civilisation mésopotamienne.
Dès le IIIe millénaire avant notre ère, le paradisiaque pays de Dilmun était présenté aussi par les Mésopotamiens comme une région prospère, source de nombreuses richesses, et un jardin dans lequel les dieux aimaient se rendre.
Si le nom de Dilmun était associé à une région géographique réelle, un royaume urbanisé situé sur la côte ouest le Golfe persique, dans la péninsule arabique, il était aussi un endroit complètement fictif, mythique, qui n'avait aucun encrage dans la géographie terrestre.
Et un petit peu plus proche de nous, ce jardin paradisiaque peut aussi être rapproché du récit biblique et du jardin originel de la Genèse, dans l'Ancien Testament, celui d'Adam et Eve. Là également se trouvait un pommier... même si ses fruits n'étaient pas en or. C'est peut-être la raison pour laquelle le voyage d'Hercule frappe notre imaginaire depuis des siècles.




Pistes bibliographiques

BONNET C., « Les divinités de Lixus », dans Lixus. Actes du colloque de Larache (8-11 novembre1989), Rome, 1992, p. 123-129.

CHAMOUX F., « Hercule au jardin des Hespérides », dans Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, 1967, p. 56-57.

JOURDAIN-ANNEQUIN C., « De l'espace de la cité à l'espace symbolique. Héraclès en occident », dans Dialogues d'Histoire ancienne, t. 15/1, 1989, p. 31-48.

PETRILLI A., « Le trésor du dragon : pomme ou mouton ? », dans Gaïa, revue interdisciplinaire sur la Grèce archaïque, t. 16, 2013, p. 133-154.

RIBICHINI S., « Hercule à Lixus et le jardin des Hespérides », dans Lixus. Actes du colloque de Larache (8-11 novembre1989), Rome, 1992, p. 131-136.




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